Les-Aeriennes

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Mademoiselle Guérin

Quand Isabelle Guérin s'avance sur pointes et déploie son arabesque au centre de la lumière, elle déplie un geste parfait qui dans sa grâce même ne touche que parce qu'il exhale, de part en part, une humilité d'artiste : au moment même où elle est la danse, elle s'incline devant elle, et l'offre sans s'attacher à soi.

 

De façon générale, la danse est, comme tous les arts, un éloge de la gratuité, une conquête de l'expression par delà le besoin - conquête de l'espace délié de la nécessité impérieuse de produire ou de survivre, champ d'inutilité essentielle parce qu'elle est, au fond, le mot de la fin de nos propres vies, qui ici s'élèvent au-dessus d'elles-mêmes au lieu d'adhérer, simplement, à ce qu'elles sont. L'art est une invitation à détourner le regard de l'urgence pour le tourner vers ce qui importe quand plus rien n'est important. Il ne distrait pas, il détend - la corde du besoin.

 

Il me semble que l'artiste est pourtant toujours menacé par lui-même, au sens où la tentation existe de mettre l'art à son service plutôt que d'être au service de cet art dont il n'est, quoi qu'il en soit, que le passeur - fragile, impermanent et comme tel, tôt ou tard, menacé par l'oubli, car les goûts changent et les modes passent, ici autant qu'ailleurs. Quand le danseur prend la pose, la posture, caricature du geste, détruit l'art par vanité.

 

Ce qui me touche, ici, c'est que la technique requiert une forme d'excellence qui n'a rien à voir avec la spontanéité et qu'il faut pourtant que la discipline s'abolisse dans la vérité du geste, qui se doit d'être un fragile dessin dans l'espace, en suspens entre d'autres gestes, d'autres danseurs, au service d'une histoire peut-être, et à travers l'histoire, témoignage d'une expérience humaine qu'il s'agit de laisser sonner juste sans trop en faire. Quand le travail s'efface derrière la simplicité, au lieu d'être le piédestal d'une gloire, d'une idole - ou d'une étoile - il témoigne simplement de ce que peut être l'humain à son meilleur. " Regardez-vous", dit la danseuse, "quand vous me regardez. Regardez ce que nous sommes, quand plutôt que de nous laisser engluer par nous-mêmes, nous nous oublions dans un même partage, dans le rêve d'un don qui nous délie de nous-mêmes et où, pourtant, ce que nous sommes s'accomplit".

 

Quand Isabelle Guérin danse, on a envie de l'applaudir non pour porter aux nues une artiste dont on se serait entiché, mais pour la remercier d'oser être cette offrande de perfection qui se donne l'air de rien, comme un encouragement à être ce que l'on peut être, de son meilleur, où qu'on soit et quoi qu'on fasse. Etre devant, au centre, comme si on était derrière, parce que ce qui compte n'est pas d'être ici ou là mais d'être, d'accomplir et de donner le geste juste, dans une intention qui laisse passer, à travers soi, tout ce que l'on peut être, sans pour autant en réclamer le dû.

 

Quand Isabelle Guérin s'avance, seule, dans la lumière, elle ne la prend pas, elle la donne.

 

 

 



01/12/2013
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