Les-Aeriennes

Les-Aeriennes

Vert infime

L'île avait gelé il y a si longtemps que même la mémoire des Anciens ne se souvenait que de la neige. Les pères de leurs pères parlaient encore du vert des prairies comme de quelque chose que les pères de leurs arrières-grands-parents auraient pu voir eux-mêmes. Le vert - le chasseur l'imaginait à partir des flammes glacées des aurores boréales. Penser que la terre aurait pu porter sur toute la longueur des pistes la couleur qui désormais ne miroitait qu'au ciel teintait son coeur d'une nostalgie étrange, car comment regretter ce qu'on n'a jamais vu ? Il interrogeait les étoiles, qui devaient briller aussi sur des territoires où les prairies verdoyaient encore,  et il tentait de deviner à leur lumière la façon dont les herbes auraient pu ondoyer sous le vent, là où cette nuit glissaient les ombres sur la neige.

 

Le froid a des beautés qu'on ne peut saisir que lorsque les mains ne gèlent pas. Lorsqu'il cessait de les sentir, le chasseur  savait qu'il lui fallait rentrer. Il lui fallait un feu, mais le feu ignorait tout du vert, même s'il avait des fastes bien à lui. Si fulgurante que fût la lumière dans ses déploiements crépitants et chaleureux, il semblait au chasseur qu'un monde d'où une couleur avait pour ainsi dire disparu était un monde au bord du naufrage -  et il rêvait alors que l'île dérivât jusqu'à ces territoires lointains où le vert des prairies était si peu un conte que nul ne songeait à s'en émerveiller.

 



31/12/2017
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