Les-Aeriennes

Les-Aeriennes

Les oiseaux-rois (conte)

Il était une fois un écureuil qui, comme tous les écureuils, volait - je veux dire qu'il volait de branche en branche, de saut en saut, de graine en graine. Du matin au soir, il volait, comme si la terre n'était pour lui que le lieu d'appel d'un instinct aérien plus essentiel - il volait sur la route comme les dauphins volent sur l'eau, à la façon d'un jeu où l'animal semble sans cesse s'enquérir d'une possible autre destinée.

 

Alors qu'il volait, entre les arbres, de flaque de lumière en flaque de lumière, il entendit un cri près de l'aubépine - et comme il n'avait pas peur, il vola au secours de l'être qui, maintenant, semblait gémir.

 

Au pied des fleurs il trouva un oiseau, une alouette dont l'habit splendide était traversé d'une broche écarlate - car l'oiseau portait une épine au coeur. A son frémissement, l'écureuil sut qu'il vivait encore et sans trop savoir pourquoi, d'une impulsion brusque, il lui vola sa douleur.

 

L'écureuil cria et l'oiseau ouvrit les yeux. Mais tandis que son regard doux se portait sur l'être qui venait de lui sauver la vie, l'oiseau, d'un mouvement fluide, se transforma en jeune fille, qui recueillit au creux de sa main l'écureuil frémissant.

 

"Mais quelle idée", lui dit-elle, "comme tu es fou". Et de sa main délicate elle ôta l'épine du flanc de l'écureuil, où elle s'était fichée - ayant manqué, heureusement pour lui, le chemin du coeur.

 

L'écureuil ouvrit les yeux et quand son regard croisa enfin celui de la jeune fille, il sentit qu'elle lui avait ôté bien plus qu'une épine - car à la place du coeur, il ne sentait plus rien, sinon un vaste sentiment d'espace qui lui donna l'impression de voler.

 

"La douleur qui est mienne reviendra, gentil sauveur : nul ne peut voler un destin. Mais celui qui vole une mort gagne bien plus que la vie" - soufflant sur lui ces paroles, elle le déposa à terre, sans qu'il y comprenne rien reprit sa robe d'oiseau et jaillissant au ciel se fondit dans le soleil quand un nuage le découvrit.

 

L'écureuil se secoua, se demandant s'il avait rêvé, mais en son coeur demeurait la sensation d'espace et s'il vola jusqu'à chez lui ce fut sans toucher terre.

 

A la nuit il ne parvint pas à faire des rêves d'écureuil. Il lui sembla qu'une partie de lui-même volait dans le coeur de l'oiseau et comme ce sommeil lui donnait le vertige, il choisit d'aller attendre le jour sous la clarté de la lune, qui semblait ronde et fixe dans le ciel.

 

Il sentit confusément que l'oiseau, ou la jeune fille, lui manquait, et comme il ne savait pas trop où vivent les filles-oiseaux, il alla vaquer au matin près de l'aubépine. Les fleurs comprirent son manège et se moquèrent de lui : "l'oiseau-fée ne reviendra pas", lui dirent-elles, "mais ceux qui la cherchent ne tarderont plus et te mèneront peut-être à elle, si tu ne crains pas leur compagnie."

 

Ayant ainsi parlé, elles se turent, tandis qu'un grondement étrange semblait envahir l'air et le raréfier à mesure qu'il s'intensifiait. L'épine, qui était restée là, luisait comme une lame. Compatissantes, les fleurs s'écartèrent et firent place à l'écureuil qui se cacha parmi elles.

 

Le grondement fit place à un corps, que l'écureuil identifia vaguement comme celui d'un oiseau. Celui-ci s'approcha de l'épine et, s'en saisissant, se fit homme. "Je t'avais bien eue, pourtant", grommela-t-il. "Où es-tu ?"

 

Sa face se tourna vers le ciel en rugissant - mais le soleil ne se découvrit pas. Sans réfléchir, d'un bond l'écureuil fut dans la poche du manteau de l'homme au moment où ceui-ci se changeait à nouveau en oiseau - et tous deux s'élevèrent, bien que l'écureuil ne puisse plus dire comment ni de quoi lui-même avait l'air, à supposer qu'il ressemble à quelque chose. A une puce, peut-être - mais l'idée ne fut pas drôle, et il attendit seulement que l'oiseau se pose quelque part.

 

Ce fut long.

 

Sur le troisième nuage au bord de la montagne, l'oiseau fit enfin halte, et comme il reprenait son corps d'homme l'écureuil reprit aussi sa place dans le manteau, dont il jaillit d'un bond discret en espérant ne pas passer au travers du nuage. 

 

Mais le nuage était un palais, que bordait un étang qui reflétait le ciel. L'homme rentra, furieux encore, dans le bâtis splendide, tandis que l'animal resta dehors à contempler son reflet, qui à cette heure se mêlait à celui des premières étoiles. Tandis que Cassiopée déployait ses ailes, c'est là qu'il la vit - l'alouette, émergeant du reflet comme depuis un rêve.

 

"Gentil sauveur", dit-elle, "j'ai besoin de toi".

 

L'écureuil ne dit rien, mais la sensation d'espace se contracta dans son coeur.

 

"L'empereur amoureux séquestre mon reflet derrière des ronces piquantes, et je ne puis l'approcher encore sans risquer ma vie. Mais si je capitule et m'offre à lui, les ronces ouvriront un passage et le reflet se libèrera. Je voudrais qu'alors tu l'aides à se mettre en sécurité, jusqu'à ce que je puisse m'échapper. Toi qui as volé ma mort, je peux te confier ma vie."

 

"Où le cacherai-je ?" demanda l'écureuil. 

"Dans ton propre esprit", répondit la fée.

 

Prenant forme de femme, elle cacha l'écureuil dans le pli de son voile et entra dans la demeure dont les portes frémirent à son approche mais la laissèrent entrer.

 

"Suis le chant", dit-elle à l'écureuil, qui bondit et vola de pièce en pièce jusqu'à une fontaine où pleurait un oiseau, tandis que la fée marchait vers l'empereur qui la cajolait du regard.

 

La fontaine était cernée de ronces immenses, de telle sorte qu'elles couvraient même de leur entrelacs serré le reflet chantant de l'alouette. Quand l'empereur embrassa la fée, son désir étouffa sa rancoeur et les ronces s'entrouvrirent, laissant place à l'écureuil qui se glissa jusqu'à l'eau. Là, il vit le reflet, qui se logea dans sa pupille : d'un bond, ils gagnèrent les portes, mais le palais trembla.

 

L'empereur comprit que la fée l'avait trompé et il la transperça d'une lame. Elle ne cria pas, mais son corps fondit comme sable dans ses mains. L'écureuil avait franchi les portes, franchi le gué jusqu'au bord du nuage.

 

"Saute", lui cria le reflet lové dans son oeil.

 

Il sauta, et ses ailes se déployèrent, et il vola, coeur déployé dans l'espace clair qui lui fit traverser les mondes jusqu'à un lac miroitant.

 

"Celui qui vole une mort gagne bien plus qu'une vie", lui murmura le reflet de la fée, qui se glissa dans l'onde. Abaissant le regard, l'écureuil-oiseau vit qu'il volait à son côté, et dans un chant joyeux tous deux glissèrent jusqu'au soleil.

 



08/09/2013
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