Les-Aeriennes

Les-Aeriennes

Chant secret (conte)

Il était une fois une sorcière qui parlait aux secrets cachés dans l'âme des autres. Elle était née avec leurs mots comme si elle les portait en elle : le silence était souvent sa seule armure contre leur déferlement, car les mots cherchent ceux à qui ils appartiennent jusqu'à ce qu'ils les aient trouvés. Elle voyageait donc, seule, sous le silence du ciel, portant ces mots jusqu'à ce qu'elle les dépose comme un trésor dans le cœur de ceux à qui ils avaient toujours appartenu.

 

Il était une fois un enfant malade que la vue du ciel faisait parfois vaciller. Au jour qui convient, à l'heure dite, la porteuse de mots franchit le seuil où dormait l'enfant, que veillait sa grand-mère.

- Toi qui sais les chemins, saurais-tu retrouver la paix de cet enfant ?

- Tout dépend de son coeur, grand-mère.

Ayant abandonné au seuil les fatigues du voyage, elle s'assit près de l'enfant.

 

On ne peut pas brusquer les mots. Il est plus sage de les laisser venir : on leur fraie un chemin dans le silence du cœur, on écoute. C'est d'abord comme le chant lointain d'une source perdue dans la forêt, comme l'écho du vent sur la paroi d'une ancienne montagne depuis longtemps éboulée. Il faut se taire encore, écouter obstinément. Les mots viennent dans la patience, il suffit d'accueillir le désir qu'ils ont de se donner. Peu à peu le chant de la source s'amplifie, se module, et lorsqu'il se change en cascade, la sorcière s'en laisse tout entière traverser. Les mots dormants jaillissent librement sur ses lèvres et se donnent à boire aux assoiffés. Alors ceux qui rencontrent les mots qui leur faisaient défaut guérissent, retrouvant comme un fragment de leur coeur.

 

Ce fut long, car l'enfant luttait. Elle le veilla, lui laissant le temps de s'habituer à la rumeur des mots tapis. Brusquer la parole, c'est la fausser : si le moment n'est pas juste, les mots, bien qu'attendus, seront rejetés et perdus, causant une grande souffrance. Porter les mots d'autrui n'est pas un don pour gens pressés. Elle attendit.

 

Au soir qui convenait, à l'heure juste, l'enfant se leva, glissa sa main dans la sienne et tous deux levèrent les yeux vers les étoiles qui brillaient avec éclat comme au-dessus d'un désert. Le murmure de la source s'éleva et la sorcière tint la main de l'enfant qui tremblait jusqu'à ce que l'eau devienne cascade et qu'il puisse y boire.

 

Il était une fois un homme, qui avait été un guerrier mais qui ne s'en souvenait pas. Il appelait justice sa propre vengeance et sa colère se portait sur ses proies sans faillir - ce qu'il défendait, il n'aurait plus su le nommer, mais il projetait avec force sur le monde le désespoir des morts qu'il n'avait pu empêcher.

Ce guerrier ne savait pas que lui-même était mort tant sa rage lui survivait.

Sa course se heurta un jour au rire d'un enfant qui jouait sur les contreforts de la montagne. Le rire de l'enfant était clair et frais, il le frappa comme une blessure - écho lointain d'un ancien fils. Le guerrier s'approcha de l'enfant pour regarder ses yeux et alors qu'il croisait ce regard vif, il s'y perdit.

L'enfant cria comme s'il avait été piqué : ce jour-là, il vacilla pour la première fois sous le ciel, tandis que l'âme du guerrier s'emmêlait à la sienne. Ses rêves prirent la teinte du sang, son cœur se colora de tristesse, pendant qu'à travers ses yeux le guerrier contemplait le ciel, comprenant qu'il était pour lui perdu.

 

La sorcière, prenant le visage de l'enfant dans ses mains, plongea du regard dans ses yeux et s'adressa au guerrier, qui ne s'y cachait plus.

 

- Laisse cet enfant.

- Je n'ai nulle part où aller.

- Si tu veux hanter un silence, hante le mien.

- Tu auras peur.

- Laisse cet enfant.

 

Ils se toisèrent longtemps, mais l'instant d'après l'enfant s'endormit dans les bras de la femme qui se mit à pleurer, alors que le guerrier trouvait refuge dans son propre cœur.

- Folle, dit-il, et il lui caressa les cheveux.

 

Il était une fois une sorcière qui parlait aux secrets cachés dans l'âme des autres. Elle portait leurs mots jusqu'à ce qu'ils se rencontrent et sous le silence du ciel elle arpentait les routes, gardant au cœur un guerrier.

 

 



06/05/2014
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